Le projet Afripédia, lancé en juin 2012 par un accord entre Wikimédia France, l’Institut français et l’Agence universitaire de la Francophonie, vise à développer l’accès à Wikipédia en Afrique francophone. Le projet avant tout linguistique et culturel cherche à apprivoiser ce « grand réservoir de la francophonie. » Une opportunité pour un continent en marge… aussi d’internet.
Le constat est simple : l’Afrique et les thèmes africains sont largement sous-représentés sur Wikipédia. Le continent reste largement déconnecté du monde, les relations internet sont – s’ils existent – précaires. Seuls 15,6% des Africains ont accès à internet, comparé à une moyenne mondiale de 34,3%. L’Afrique compte pour 15% de la population mondiale, mais seuls 2,6% des utilisateurs internet sont africains. Initier ce continent à Wikipédia, un des sites les plus visités au monde, est donc à la fois un enjeu technologique et culturel. La consultation hors ligne, par le logiciel Kiwixpermet, permettrait de franchir la barrière technologique d’un continent encore à la marge de la mondialisation, même s’il « s’agit d’abord un projet culturel, qui est parti du linguistique. La technologie est un moyen au service de la diffusion du savoir librement partagé. Ce qui nous a rapprochés de Wikimédia, c’est la même sensibilité pour les valeurs de partage et de co-construction du savoir », explique Alexandre Minski du département Langue Française à l’Institut français dans un entretien téléphonique accordé au Journal International. Le public visé est aussi en grande partie jeune, afin d’assurer une plus grande durabilité. « C’est auprès de ces jeunes générations que le phénomène Wikipédia risque de se répandre. »
Créer une sphère Wikipédia
La finalité du programme est surtout d’inciter à la contribution, afin de créer une sphère Wikipédia dans les pays de l’Afrique francophone. 30% des articles Wikipédia traitent de la culture et des arts,suivi de 15% de biographies et 14% de géographie. « Je ne pense pas qu’on puisse nous faire le reproche de néo-colonialisme. La première chose que nous disons est : « On ne vient rien vous apporter – parlez-nous vous-même de l’Afrique. » » Il s’agit, selon Alexandre Minski, d’une « réappropriation » par les Africains de leur culture et de leur continent. « Wikipédia traite aussi et surtout des réalités quotidiennes, qui sont portées avant tout par ceux qui les vivent au quotidien. » Il s’agit de donner aux experts, aux scientifiques et tout simplement au peuple africain, un moyen de s’exprimer et de faire part de leur culture.
Un volet important du programme est celui de la communication des savoirs pour des parties du monde qui ne sont pas forcément incluses dans le discours scientifique général. Le Français a ici du retard : seule une mineure partie de travaux scientifiques est publiée en français. De plus, Wikipédia n’est souvent pas ou mal connu : « On nous a demandé si Wikipédia était payant, s’il fallait un diplôme pour contribuer » raconte Alexandre Minski. Wikipédia serait d’après lui un « outil, dont il faut que les Africains s’emparent. »
Un programme au profit de la francophonie
Le français fait partie des trois langues phares de Wikipédia, avec l’Anglais, l’Allemand tant en termes de nombre de pages qu’en actualité des pages. « C’est un programme qui s’inscrit dans notre action en faveur de la francophonie, et en particulier de la francophonie numérique. » L’Afrique est le continent avec le plus de locuteurs français au monde : 96,2 millions de personnes parlent le français selon les chiffres de l’Organisation Internationale de la Francophonie. D’ici les années 2050, 85% de la francophonie sera africaine. L’Afrique représente ainsi pour Alexandre Minsk non seulement un « réservoir d’expertise africaine », mais aussi « le grand réservoir de francophonie dans le monde. » Pour Pierre-André Wiltzer, ancien ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie, « le continent africain est une ressource considérable pour la francophonie » à cause de sa « vitalité démographique très importante. » Or, le développement de la langue est inégal, l’éducation francophone est à développer. Il s’agit, pour le français, de garder son statut de langue mondiale vis-à-vis de l’Anglais.
« Adapter le Français »
À terme, l’objectif du programme est que les trois partenaires se retirent du projet et qu’il soit pris en charge par des structures africaines qui organisent la contribution sur le territoire. Une dernière réunion en Automne 2014 sera une session administrative qui visera à créer ces structures et non plus à former des contributeurs, comme ceci était le cas lors des sessions de formation. « Nous n’avons pas vocation de rester présent, mais de lancer le mouvement » explique Alexandre Minski. Un défi, aussi, pour la langue française en Afrique, qui se développe autour d’un grand nombre de dialectes singuliers. Le programme Afripédia s’ouvrira, dans un deuxième temps, petit à petit aussi aux langues locales, même si l’action principale reste francophone.
Le français se développe en une multitude de dialectes singuliers. La conquête de Wikipédia par la culture africaine constitue pour ce continent une grande opportunité de s’intégrer dans l’échange du savoir mondial. Pour la francophonie, il s’agit d’apprivoiser ce grand réservoir de langue française. Faudra-t-il « adapter le français à la culture africaine », comme le disait l’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma ?
Publié le 27 mai 2013 sur Le Journal International