Alors que les rédactions sont réduites à licencier, les Jugendmedientage 2013 à Berlin prouvent que la profession de journaliste continue à en faire rêver plus qu’un. Plongés pendant quatre jours dans un univers journalistique sans équivalent, plus de 300 jeunes ont pu échanger sur leur journalisme rêvé.
Jeudi dans l’après-midi, l’arrivée à Berlin, en pleine heure de pointe, n’est pas sans conséquence : plus d’une heure pour faire le trajet, qui ne dure pas plus de 30 minutes normalement, vers le centre de Berlin. Arrivé au rendez-vous du check-in, une queue s’est formée devant l’entrée de gymnase de la Ernst-Reuter-Oberschule. C’est ici qu’il faut récupérer les bracelets d’accès – et c’est ici qu’une partie des participants a dormi, sur le sol, dans un sac de couchage. Un énorme squat de journalistes en herbe. L’autre groupe est redirigé vers un appartement entièrement vide pour dormir par terre, réparti dans la demi-douzaine de chambres, avec exactement deux douches – dans la même salle de bain. Berlin est désormais, et pour 4 jours, occupé par deux squats de jeunes journalistes, qui rêvent d’un avenir dans les médias, conscients, en partie, que ceci signifie renoncer à la sécurité de l’emploi.
La rencontre a lieu alors que les médias traditionnels sont en crise : les tirages et la taille des rédaction sont réduits, le lectorat devient de plus en plus vieux pour la presse écrite traditionnelle. Internet et sa culture de la gratuité remettent en question les modèles économiques des maisons d’édition. Or, ceci est justement une bonne raison pour profiter, plongé dans l’insouciance et l’illusion, oubliant pour quatre jours les faces cachées d’un métier qui fait rêver.
Un rêve en question
La cérémonie d’ouverture du congrès a lieu, comme la majorité des événements, à l’« ewerk », non loin de la Podsdamer Platz. Après quelques mots de bienvenue de la part d’un représentant de la mairie, la parole est donnée à Christian Fuchs afin d’idéaliser encore plus la profession face aux jeunes aspirants reporters rassemblés dans cet ancien hall industriel, au centre de la capitale allemande. Christian Fuchs est un journaliste de recherche et parcourt le globe à la recherche d’histoires. Il nous décrit une vie entre cinq continents ; un voyage perpétuel à travers les cultures ; des rencontres avec diverses personnalités internationales. Pour l’entrée dans le journalisme, il ne faut pas beaucoup : « j’étais toujours très curieux. » Il présente ses « sept conseils » aux jeunes : « découvre les possibilités » , « trouve ton flow », « persiste », « reste différent », « ne te fais pas plus vieux que tu ne l’es » et finalement : « n’écoute pas les conseils des vieux. » Un discours idéaliste que plusieurs, mais trop peu, remettent légitimement en cause.
L’agence de presse allemande DPA décerne ses News Talent Awards, récompensant des jeunes journalistes free-lance pour des travaux hors du commun. Cette année, les travaux primés étaient des reportages multimédia, dont un sur les conséquences humaines et environnementales de la production de cuir à Kanpur, en Inde. Le premier prix a été décerné à Chris Grodotzki pour son reportage sur les immigrés sans papiers à Calais qui attendent désespérément leur chance de traverser la manche à destination de l’Angleterre. La discussion qui suit la remise du prix est en majeure partie une publicité intelligemment placée par l’éditeur du Huffington Post allemand, Cherno Jobatey, détournant ainsi le thème initial « Le journalisme vaut-il la peine ? ».
La fameuse crise de la presse est, pour une soirée, réduite à son minimum : « Nous sommes dans une crise où tout casse. Mais les journalistes sont dans une meilleure position que les maisons d’édition : nous sommes les institutions du futur. » La question : par quel moyen le journaliste indépendant, devenu institution, gagnera l’argent pour vivre, reste néanmoins sans réponse claire. Le groupe « Pussies In Boots » anime la soirée, avec son chanteur âgé d’une trentaine d’années, vêtu d’un pull beige issu, dirait-on, du siècle dernier.
L’expérience pratique du journalisme
La nuit était plutôt douce, mais le réveil a clairement manqué d’une bonne douche. Départ à 8h pétante pour un petit déjeuner à l’« ewerk » avant une matinée consacrée au congrès du journalisme. Diverses institutions en rapport avec le milieu journalistique se présentent et accueillent les (plus ou moins) curieux. L’après-midi ont lieu des rencontres en petits groupes avec des professionnels, dont Marc Kalpidis, ancien correspondant pour la DAPD (une agence de presse allemande, qui a fait faillite) à Bruxelles et actuellement rédacteur au bureau du service allemand de l’AFP à Berlin. « En tant que correspondant, tu as beaucoup plus de libertés, mais aussi beaucoup plus de stress », affirme-t-il. Une soirée peu arrosée, animée par Know No Bounds, un groupe rock’n’roll-blues jeune clôt la première journée sur un ton digne des années 50 aux États-Unis.
Samedi, plusieurs ateliers prennent le relais. La Deutsche Presse Agentur, l’équivalent allemand de l’AFP, proposait un module de journalisme sportif, avec, inclue, une entrée presse pour le jeu du club berlinois ALBA-Berlin. Dans les conditions réelles d’une agence, le groupe de jeunes issus de contextes très différents est amené, en exactement 25 minutes, à produire des récits écrits et radiophoniques du jeu. Le ZDF proposait un atelier de production d’une émission télévisée : les participants ont réalisé des reportages dans la rue, présenté, filmé et monté l’émission entière sous les yeux bienveillants de plusieurs rédacteurs de la deuxième chaîne allemande. Avec des rédacteurs et graphistes du magazine Stern Neon, les participants ont eu l’occasion de créer une édition spéciale entièrement rédigée par eux ; certains participants affrontaient les défis de la radio chez l’ARD ; d’autres peaufinaient leur rhétorique, leur savoir-faire photographique ou écrivaient des poésies engagées. Une soirée – cette fois-ci un peu plus arrosée – clôt la troisième journée de ce « festival des médias » sur les tons de « disko, disko, partizani » du DJ Shantel.
« Et toi, tu veux faire quoi plus tard ? »
Personne n’ose vraiment répondre « journaliste » à cette question, alors qu’une grande partie des participants le pense bien. La cérémonie de clôture dans les studios du ZDF à 500 mètres de la Porte de Brandebourg est une présentation des produits des ateliers, agrémentée par un buffet de petit-déjeuner dans un cadre sublime. La crise des médias a définitivement disparu des têtes des jeunes participants. « Celui qui veut de la sécurité doit s’éloigner du journalisme », a remarqué un rédacteur de la DPA lors de la soirée d’ouverture. Ou encore, comme le disait Cherno Jobatey : « Les modèles économiques de nos parents n’existent plus. »
Il s’agira, pour la génération suivante d’en trouver d’autres : l’approche « multimédia » est devenue standard ; les attentes à la vitesse de réaction des agences de presse ne cessent d’augmenter à cause d’une forte croissance des offres en ligne ; les rédactions sont réduites, les journalistes de moins en moins payés. Tous les aspirants journalistes présents ne réussiront pas pleinement dans le domaine journalistique. Ils resteront tous toujours intéressés par les médias, curieux de ce qu’il se trame dans le monde, avec une tendance à poser les questions nécessaires. Ils resteront informés et éclairés. « Le pouvoir de modeler le futur de notre république est entre les mains des journalistes des générations futures », disait Joseph Pulitzer, célèbre journaliste américain, dans un discours gravé au mur à l’entrée de l’école de journalisme de l’Université Columbia à New York. Peu, parmi ceux présents à Berlin, auront réellement ce pouvoir. Mais ceux qui l’auront, le rempliront avec beaucoup de savoir-faire, de sérieux et de passion. Une lueur d’espoir en temps de crise.